Premier épisode d’une longue série, Genso Suikoden -littéralement «la légende au bord de l’eau»- est un jeu de rôle édité par Konami qui voit le jour en 1995 au japon et 1997 en Europe. RPG classique mais aux nombreux atout, Suikoden sut séduire en son temps, notamment grâce à une histoire et une narration du extrêmement bien menée. Mais aussi bon soit-il, le soft de Konami ne connaitra pas le succès commercial escompté et pour cause: la même année sort un jeu dont la popularité et l’engouement seront tels qu’il éclipsera tous ses concurrents : Final Fantasy VII. Un échec commercial donc, qui sera toutefois contrebalancé par un succès critique auprès des «rpgistes» du monde entier…
Raph
Genre: RPG
Support(s): PSX
Année: 1995 (JAP); 1997 (US/EU)
Editeur: Konami
Développeur: KCET
Du roman réaliste et contestataire au jeu de rôle médiéval-fantastique
Le jeu s’inspire directement d’un roman chinois du XIVème siècle, «Au bord de l’eau» qui raconte les aventures de cent-huit personnages (officiers, juristes, paysans, marchands, bateliers, pratiquants d’arts martiaux…) d’horizons et d’extractions sociales très diverses mais qui ont pour point commun de se retrouver face aux vexations et à l’injustice du gouvernement et de ses agents corrompus. Ces 108 personnages, devenus des «étoiles» envoyées sur terre pour juger les hommes et symbolisant le destin, finissent par se regrouper autour d’un meneur, dans une forteresse imprenable dissimulée dans d’immenses marais.
Suivant la même trame donc, Suikoden nous plonge au cœur d’un royaume gouverné par l’Empereur Barbarossa et sa conseillère la sorcière immortelle Windy, alors en guerre contre les rebelles de l’armée de libération de Toran. L’empire est défendu par six Généraux, notamment Teo Mc Dohl dont le fils n’est autre que notre héros, chevalier de l’empire toujours accompagné par ses amis et protecteurs Ted, Greymio, Cleo et Pahn. Au fur et à mesure des diverses missions pour le compte de l’empire et des rencontres qui en découlent, il devient rapidement évident pour notre équipe que l’empereur dirige mal son peuple.
Et lorsque celui-ci décide de s’en prendre à Ted, convoitant la rune très puissante qu’il possède (la Devor Ame), vous êtes alors contraint de fuir pour protéger la rune que votre meilleur ami vous confie avant de disparaître. Votre fuite vous fera rejoindre bon grès malgré un petit groupe de résistants duquel vous deviendrez rapidement le chef après la mort tragique d’Odessa, figure emblématique de la rébellion, qui vous confie le destin de ce monde ainsi que votre mission principale : recruter un max de soldat pour gonfler vos rangs et mettre un terme à la tyrannie exercée par le pouvoir impérial.
Une inspiration originale plombée par une mise en scène trop évidente
Le jeune héros trompé par ses pairs, qui décide de prendre les armes contre un régime cruel qui oppresse les peuples… Une trame classique et manichéenne que l’on pourrait trouver assez cliché aujourd’hui mais qui constitue à l’époque le socle de la grande majorité de RPG de type «heroic-fantasy». L’originalité du scénario viens surtout de cet emprunt à la littérature chinoise, qui en plus de nous offrir une variante intéressante (il ne s’agit plus d’une pauvre équipe de bras cassés contre un empire mais d’une armée entière !) apporte quelques nouveautés en terme de gameplay qui font de Suikoden un opus à part, dont je vous parlerais plus avant.
Une bonne trame, mais une mise en scène lourde, trop évidente, et qui de surcroît accuse le poids du temps (aujourd’hui en effet la narration vidéoludique ce fait de plus en plus en «flux tendu» : un rythme rapide, soutenu, ponctué par des éléments imprévu qui viennent sans cesse casser/relancer l’histoire, comme au cinéma). Par conséquent on ressent parfois des moments de flottement, et il est assez facile de deviner le déroulement à venir de nos aventures, rendant le jeu prévisible et ennuyeux de temps à autre.
Heureusement, vous serez quand même touchés par les personnages principaux (disons une dizaine) dont l’histoire et la psychologie ont été très travaillé. Je pense à Ted bien sûr, mais aussi Greymio, Pahn, Cleo, Victor et Flic (Odessa of course!). Dommage que l’on ne puisse en dire autant des 98 autres, qui ne bénéficient pas du même traitement et qui deviennent assez fades et sans grand intérêt…
Une bonne trame, mais une mise en scène lourde, trop évidente, et qui de surcroît accuse le poids du temps
Un gameplay très travaillé
Le gameplay est, disons-le, un des points fort du jeu. Au niveau du staff : Chaque personnage possède sa propre arme qu’il peut si besoin affûter chez un forgeron (jusqu’au niveau 15, ce qui vous coutera horriblement cher…) Pour les armures et autres accessoires, vous les trouverez normalement dans des coffres ou dans les armuriers des villages les plus proches. Il existe également des «runes» qui vous permettent de faire appel à la magie. Cependant il ne vous est possible d’en lier qu’une par perso, ce qui limite grandement les possibilités de gameplay pendant les combats (ce défaut sera corrigé dans Suikoden II). A noter que vous pouvez également lier des «fragments de rune» aux armes de vos perso, qui leur donneront des propriétés élémentaires (vent, feu…) Petit bémol (ENORME BEMOL) en ce qui concerne l’inventaire , Comment vous dire?
Je n’ai jamais vu un inventaire plus relou que celui de Suikoden ! Chaque perso dispose d’un inventaire limité dans lequel il doit mettre son équipement, ses objets de combat et aussi les trésors trouvés au fil de l’aventure. Ainsi très vite vous serez confrontés à un dilemme qu’en tant qu’rpgiste digne de ce nom vous DETESTEREZ : jeter un objet pour en avoir un autre ou inversement. Il faudra donc très souvent vendre le surplus dans un magasin et faire du tri dans votre inventaire si vous ne voulez pas être obliger de jeter. Et je ne vous parlerais même pas du transfert d’objet d’un perso à un autre, qui relève du casse-tête, ni du design et des fonctionnalités médiocres des menus. Non vraiment, c’est bâclé à souhait et relou au possible, ce qui nuira très certainement à votre confort de jeu.
Les combats quant à eux sont particulièrement épiques, bien qu’un peu rigides sur la forme. Vous avez la possibilité de combattre avec six personnages (heureusement, vu le nombre de persos disponibles !). Mais il vous faudra faire attention à leur placement, qui se définit selon la portée d’une arme (court-moyen-long). Ainsi les personnages avec une arme à portée courte (Victor, Pahn) seront en première ligne, alors que vos mages (Cleo, Persmergea) seront à distance au deuxième rang. Les personnages à portée moyenne (comme le héros) pourront être placés ou vous le désirez. Contrairement à un «FF» traditionnel, pas de jauge ATB ici. Vous définissez les attaques/soutiens de tous vos personnages en même temps à chaque tour, ce qui vous oblige à anticiper les attaques de vos ennemis, et vous donnera parfois quelques sueurs froides!
En ce qui concerne le déroulement du jeu, celui-ci alterne efficacement les phases village-donjon-world-map et… batailles ! Voilà une des particularités du soft qui ont largement contribué à sa renommée: les duels et batailles armées. Les premiers consistent en des «face à face» qui interviennent aux moments clés du scénario, et qui se déroulent à la manière d’un «shifumi». Il vous faudra deviner la prochaine attaque de votre adversaire en fonction de ce qu’il vous dira. Les seconds sont une sorte de «mini tactical» basé sur un système de force / faiblesse (infanterie > archers > cavalerie > infanterie) … Sympa mais trop facile, dont le principe sera là encore beaucoup mieux exploité dans les opus suivant.
Autre particularité du soft, la possibilité d’avoir votre propre château/QG que vous pourrez customiser à souhait, et ça, c’est la classe. Je m’explique, au court de votre aventure (et de vos recrutements) il deviendra vite évident qu’il vous faut un point de chute, histoire que l’armée de libération ne soit pas qu’une bande de clodos mal rasés mais une armée digne de ce nom, avec un QG «à son image». Et cette image, vous pourrez la faire évoluer au fur et à mesure de vos recrutements. Plus vous aurez de perso, plus votre QG ce développera, vous donnant accès à de nouvelles fonctionnalités. Vous aurez ainsi vos propres vendeurs, forgerons, magasiniers…
Vous pourrez vous téléporter, avoir un ascenseur (si si, très utile je vous assure) et même… prendre des bains ! (genre sento japonais avec la serviette sur la tête et tout et tout). Bon, les hommes et les femmes sont séparés c’est moins fun je vous l’accorde, mais en fonction de la déco que vous mettrez dans les bains en questions et des perso présents vous pourrez assister à des discussions et scènes cocasses, ce qui vous en apprendra plus sur le background des personnages et sur leurs mœurs… Vous serez surpris !
Voilà une des particularités du soft qui ont largement contribué à sa renommée: les duels et batailles armées
Les graphismes: un parti pris
Les graphismes sont excellents pour de la Super Nintendo: des sprites très travaillés, de belles textures et une palette de couleur riche… Comment? C’est un jeu Playstation?!?
Voilà un aspect du jeu qui prête à la controverse depuis toujours. A l’époque, il y avait ceux qui ne voulaient même pas entendre parler d’un jeu comme Suikoden à sa sortie en 97 alors que des jeux comme FF7 existaient déjà… Et les autres, dans un premier temps une minorité, fans inconditionnels du 2D à l’ancienne et nostalgiques du premier «age d’or du RPG» qui a vu naître des jeux tels que Final Fanatsy VI, Seiken densetsu 3, Dragon Quest 6, Chrono Trigger ou encore Zelda : A Link to the past …
Alors certes, les graphismes sont moches si on les compare à ce qui se faisait à l’époque. La carte du monde est horrible, vos soldats durant les batailles armées ne ressemblent à rien et vos magies pixelisent à mort… Ok, mais pourtant (et oui !) pourtant quelque chose se dégage de l’ensemble, une patte, un univers propre et original qui vous restera en mémoire, ce qui pour moi est la marque des grands jeux. Ces graphismes en 2D sont un parti pris risqué de l’équipe de Konami, qui, à l’heure du RPG 3D, avait décidé de rester fidèle à la tradition 2D. Parti pris qui sera partagé par de nombreux jeu par la suite, comme Legend of Mana, qui sera un véritable succès. Ce parti pris sera également respecté dans Suikoden deuxième du nom, mais finira par disparaître dans le troisième épisode. En outre, pour bien des joueurs, c’est avec le troisième épisodes que disparaît «l’âme» de la série.
Un univers sonore épique, lyrique et… burlesque!
Les musiques sont une des grandes surprises auxquelles je ne m’attendais pas. L’OST est un «must-have» pour tout fans qui se respectent, tant les thèmes sont travaillés. On alterne les thèmes épiques de la «world-map» et des combats avec ceux, plus lyriques des personnages. Certains, très mélancoliques, viennent souligner les épisodes tragiques de l’histoire. Les musiques sont globalement inspirées de musique populaire chinoise (et non pas japonaise, ce qui s’explique notamment par l’influence de base : un roman chinois), avec une touche non négligeable de musique Zen.
A noter aussi, les bruitages et sons utilisés pour les menus : certains sont plutôt bizarres, voire même complètement bidons, comme le fameux «couac» qui indique que vous ne pouvez pas vous équiper de tel objet… Ridicule à souhait, et pourtant … (et oui encore) pourtant on s’y fait et on y prend même gout (bon je vous l’accorde, j’ai peut-être de drôles de goûts)…
Pour conclure, je dirais de Suikoden premier du nom qu’il s’agit d’un très bon RPG qui mérite son titre de référence, malgré une mise en scène dont les codes ont mal vieillis et certains points (menus, inventaires, runes) qui auraient demandés à être plus travaillés/approfondis. D’une durée de jeu de 20 à 30h (selon votre rythme de progression), et du double pour finir toutes les quêtes annexes (108 étoiles et leur arme au max, cuisines, bains, «level up»…) ce soft vous procurera par bien des aspects un sentiment d’originalité. La possibilité d’avoir votre propre château et de pouvoir vous battre avec 76 personnage est jubilatoire, même si la plupart n’ont pas d’intérêt particulier concernant l’histoire. Suikoden premier du nom est une réussite, dont les défauts seront en partie gommés par l’épisode qui suivra, j’ai nommé le «génialissime» Suikoden II et qui constitue LE Suikoden à connaître pour tout «rpgiste» qui se respecte.