Dans la famille The Legend of Zelda, je voudrais… l’oppression, le psychédélique et la mort ! Vous n’avez pas ? Alors, piochez… Hum, qu’y a-t-il ? Votre carte arbore une lune au visage effrayant ? C’est une bonne pioche ! Il vous faudra bientôt un masque pour nier votre expression désemparée, car c’est bien d’un Zelda dont je vais vous parler. D’un épisode parfois montré du doigt, parfois laissé à l’abandon, mais toujours étiqueté par le qualificatif «spécial» et de bien nombreux autres synonymes. Sorti en l’an 2000 sur la Nintendo 64, Majora’s Mask se veut être la suite directe d’un opus qui n’a plus à refaire sa popularité : Ocarina of Time. C’est pourtant sa suite qui peut se vanter d’envoyer Link dans un véritable voyage à travers l’espace/temps, et cela dans un univers beaucoup plus sinistre.
IceDarkBen
Loin d’Hyrule, loin de tout
Majora’s Mask a cette particularité, bien qu’il ne soit pas le seul, d’envoyer notre jeune héros en dehors du beau royaume d’Hyrule. Bien que nous connaissons l’île Cocolint, Holodrum ou encore Labrynna, Termina est le seul pays qui entraîne notre héros dans une quête sans lui laisser le temps de se remettre de ses aventures précédentes (Ocarina of Time). Nous voilà alors avec un Link presque dépressif, dans une forêt sombre et inquiétante. C’est après une rencontre infortunée avec Skull Kid, l’enfant maudit des bois, que le jeune kokiri se fait voler son ocarina et sa fidèle jument. Le diable masqué ne sera pas sans nous rappeler le lapin d’un des contes de Lewis Caroll, emmenant une dénommée Alice dans un monde psychédélique après l’avoir fait tomber dans un trou sans fond. Le petit hylien tombe alors dans un abyme obscur dont la chute ne le laisse pas indifférent, tout comme le joueur. Le héros du temps est alors maudit et transformé en une misérable peste mojo, impuissant devant les moqueries du skull kid au masque étrange.
Là où Majora’s Mask se démarque, c’est certainement par son univers oppressant et étrange. En effet le monde dans lequel évolue le joueur, est certainement le plus singulier qu’il aura visité par-delà son expérience Zeldaesque. Toute personne ayant touché à Majora’s Mask ne pourra effacer de son périple, le souvenir de cette Lune terrifiante, s’approchant de plus en plus près de la belle ville de Bourg-Clocher. C’est au-delà du très court délai de 3 jours entiers, que celle-ci éradiquera le pays de Termina. Termina venant du latin «terminare » signifiant «finir» ou simplement «terminer», un nom bien funeste pour un pays ! Mais drôlement adapté à ce climat apocalyptique. C’est cet univers qui laissera au joueur, dès son acquisition (qu’elle soit tardive ou le jour même de sa sortie), un dépaysement total dans son expérience de The Legend of Zelda.
«L’au-delà du temps»
La où il y a la mort…
The Legend of Zelda : Majora’s Mask est certainement le Zelda le plus «mature» créé jusqu’à maintenant. Un qualificatif injustement et trop souvent accordé à Twilight Princess, qui n’a juste comme maturité sa patte graphique, comparée au fond adulte que possède Majora. En effet Majora’s Mask est l’unique Zelda à mettre autant en avant la notion de la mort, du fatalisme, et particulièrement du temps qui coule : une conception très baroque. Les nostalgiques se souviendront que Skull Kid, déjà présent dans Ocarina of Time, avait un penchant pour le masque de mort. Ce dernier n’hésitera pas, sous l’influence de Majora, à condamner tout un pays à un destin tragique, ce qui est en somme bien plus cruel que le désir de conquête de Ganondorf (l’antagoniste principal de la saga). Mais ce n’est pas seulement dans le fond que Majora présente la Mort, mais d’une manière bien plus concrète. Notre elf sylvestre sera confronté plusieurs fois à de funestes destins. Avant même d’atteindre Termina, Link rencontre un cadavre de bois à l’expression triste et désolée. Les plus perspicaces auront déduit que le masque mojo de Link, le seul masque de transformation obtenu sans apaiser l’âme d’un défunt, n’est autre que l’incarnation de ce pauvre mojo. En effet, les masques clés du jeu, s’obtiennent la plupart du temps en mettant Link face à la mort. Darmani est un héros goron tourmenté par son trépas, condamnant son peuple sous l’opression de son meurtrier. Mikau, le héros Zora, est un guitariste s’étant battu pour sauver la progéniture de sa fiancée déjà veuve. On notera aussi la valée Ikana, véritable nécropole. Link sera mené à faire face à des ninjas assassins (les garos), à converser avec des momies et à commander une troupe de soldats squelettes (les Ikanas) après avoir apporté le repos à leur capitaine.
… il y a la vie!
Si Majora’s Mask est accablé d’une ambiance malsaine, il peut aussi se targuer d’être un des Zelda témoignant le plus de vie. Encore une fois, Majora a été destitué d’une de ses qualités par The Wind Waker : celle de présenter pour la première fois un Link expressif. En effet «Toon» Link ne fut pas le premier Link à témoigner de nombreuses expressions. Même si moins nombreuses, le héros du temps arbore pour la première fois diverses mimiques et gestuelles. Link apprendra alors à danser grâce au masque de Kamaro (pas le rappeur évidemment), effectuera un au revoir en agitant la main, entamera une marche militaire et en effectuera le salut devant le capitaine Ikana, etc ! Il ira même jusqu’à se faire enlacer par la belle Crémia au détour d’une longue quête annexe effectuée trois fois (on peut alors parler de scène cachée) !
C’est bien la première fois jusqu’à ce jour, que Link établi un contact d’une telle intimité avec une femme. Car on peut le dire, Majora’s Mask est le Zelda mettant le plus en valeur ses PNJ (Personnages Non Jouables). Cette fois-ci, par l’intermédiaire du gameplay basé sur le temps (on y reviendra plus bas), les PNJ auront un discours différent à chaque instant de la journée et auront un planning bien précis, changeant constamment de place dans toute la ville de Bourg-Clocher, incluant l’intérieur de ses édifices. La subjectivité m’emporte soudainement pour souligner le fait qu’une telle interaction et implication du joueur sur l’action de tels personnages est d’une rareté on ne peut plus jouissive.
Gameplay
Fidèle à lui-même, Majora’s Mask offre un gameplay unique et très bien exploité. Originellement basé sur Ocarina of Time, ce Zelda reste dans la lignée du puzzle-donjon classique de la saga, nous menant à nous trimballer l’épée et le bouclier dans les mains toujours aidé de plusieurs accessoires célèbres comme les flacons, le grappin ou l’arc. Cependant, cet opus a voulu voir plus loin que cette plaisante rengaine et a installé deux principes majeurs basés sur la notion du temps et de l’utilisation des Masques. Deux aspects qui ont lourdement été critiqués par certains joueurs, pour la plupart trop vite déçus sans s’apercevoir que les contraintes pouvaient être palliées facilement, si encore elles méritaient ce titre dégradant.
Le véritable Ocarina du temps
Rarement Link a mérité aussi bien son titre de héros du temps, si ce n’est dans Oracle of Age où ce dernier voyageait constamment dans le temps à l’aide de la Harpe des âges. Un aspect qui a pourtant rebuté bon nombre de joueurs à explorer le jeu dans ses détails, voire même parfois de simplement le tester (j’ai moi-même fait partie de ces gens-là, et Majora est aujourd’hui mon opus préféré). En effet ce Zelda présente une contrainte bien singulière pour un jeu d’aventure et d’exploration : celle d’une limite de temps. Ainsi et en bas de l’écran apparait un compte à rebours s’étalant sur trois jours, défilant évidemment beaucoup plus rapidement à l’échelle du jeu. Il faut en effet un nombre très réduit d’heures pour que le dernier grain de sable s’écoule et confronte le joueur à un inévitable game-over illustré d’une cinématique tragique. Le joueur devra alors systématiquement remonter le temps en jouant le chant éponyme, perdant au passage toutes ses munitions et vidant entièrement sa bourse de Rubis. L’aube du premier jour se lève alors de nouveau et Termina est émancipé de toutes vos actions passées. Ainsi les donjons sont entièrement rétablis et doivent être entièrement refaits, ne serait-ce que pour la manière d’y entrer. Et malheureusement sauvegarder et éteindre votre console se résume à jouer de votre ocarina.
Vous avez dit frustrant ? C’est pourtant ce qui fait le charme du jeu, et il existe de nombreuses manières d’en tirer amusement et de ne pas finir enragé sans véritables raisons. En effet, le chant du temps possède deux autres pouvoirs, qui sont celui de ralentir ce sablier oppressant de manière considérable (vous obtenez alors le double du temps nécessaire, ce qui est énorme à l’échelle du jeu) ou celui de l’accélérer (permettant alors de vous téléporter au matin/nuit prochain(e) !). Ces pouvoirs sont d’une réelle utilité, voire indispensables pour poursuivre efficacement les quêtes annexes, ou simplement de terminer un donjon sereinement. Pour le système de sauvegarde, l’utilisation d’une statue de Hibou permet de reprendre votre partie exactement ou vous l’avez laissée. Ces statues étant les points de téléportation à travers Termina, elles sont alors un moyen pratique pour reprendre votre partie sans à avoir à refaire la moitié d’un donjon.
Qu’en est-il de la contrainte des munitions et des Rubis alors? Et bien sachez que la finition de ce jeu pallie aussi ce faux problème ! Puisque comparé à Ocarina of Time, la valeur des munitions a doublé ! Les plus petites ont déjà une grande valeur, alors que les grosses unités crèvent le plafond (imaginez le double d’une grosse fiole de magie !). Quant aux rubis, ils forment une des quêtes annexes du jeu, car grâce à un système de banque, vous pouvez vous faire tatouer par un citadin le nombre de rubis laissés chez lui, qu’il vous restituera même après un saut dans le temps. Votre épargne ira jusqu’à vous faire gagner des bourses plus grandes.
Des contraintes ? Quelles contraintes ? Au final, ce système de voyage temporel ne fait qu’apporter une grande touche de fun sous un aspect très original jamais imité jusqu’à aujourd’hui.
Derrière le masque
La deuxième particularité du gameplay est l’utilisation des masques, thème principal du jeu. En effet le menu d’équipement d’Ocarina of Time a été remplacé au profit d’un second inventaire réservé aux vingt-quatre masques du jeu. Le bouclier et l’épée une fois améliorés ne peuvent plus arborer leurs anciennes formes, (à l’exception de la lame rasoir affectée par un retour dans le temps) et ont donc leur place dans le même menu où apparaît vos chants et quarts de cœur. Parmi les nombreux masques à obtenir, quatre d’entre eux vous permettent de vous transformer sous la silhouette des races très connues dans la série Zelda, à l’exception du masque ultime vous transformant en dieu vengeur (Kishin / Oni-Link / Fierce Diety). Les autres masques eux, arborent des fonctions diverses pour les quêtes annexes, voire parfois un côté pratique (ex: le masque du lapin qui augmente la vélocité de Link). On touche alors encore du doigt un aspect injustement critiqué du jeu. En effet, certaines communautés de gamers ont accusé Majora’s Mask de faire preuve d’un inventaire particulièrement pauvre. Il se trouve que les armes trouvées dans les donjons se résument uniquement en diverses améliorations connus de l’arc, en complément du grappin et des bombes. Il est vrai que l’inventaire de l’armement est très pauvre, et se compose de beaucoup de consommables (bâtons mojos, six flacons, noix mojos etc). Or, ce n’est encore une fois qu’un aspect visuel, frustrant certains de ne pas voir s’afficher un menu riche en divers équipements. Car l’intérêt principal se trouve dans les différentes formes que revêt Link.
Qui n’a jamais rêvé de contrôler un Zora ou un Goron ? C’est possible, et uniquement dans Majora’s Mask ! En effet, les transformations de Link apportent une innovation majeure en termes de gameplay et une vaste panoplie de mouvements. Comble de ce que croient de nombreux joueurs, Majora présente en fait bien plus d’armes utilisables qu’Ocarina of Time. La peste mojo peut alors planer dans les airs et bombarder le sol, ou tirer des bulles sur ses ennemis, et peut rebondir jusqu’à cinq fois sur l’eau sans prendre la peine de nager pour rejoindre une plate-forme.
Le Goron frappe suffisamment fort pour détruire les roches sans user des précieuses bombes, et peut écraser les interrupteurs comme le faisait la masse des titans. Il peut aussi se déplacer en roulant, et, puisant dans sa magie, il devient alors deux fois plus rapide qu’Epona au triple galop (tout en détruisant tout sur son passage) !
Le Zora lui, possède un double boomerang et un bouclier d’énergie dévastateur. C’est aussi par l’intermédiaire du Zora, que le joueur expérimentera une aise rarement ressentie en nageant sous l’eau, et cela quel que soit le jeu vidéo même encore aujourd’hui!
La durée de vie
Majora’s Mask est un véritable Zelda, bien que particulier. Pour profiter de sa durée de vie, il faudra malheureusement parfois être un esthète de la série pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. Apparent point noir du jeu : seulement quatre donjons à explorer. Le nombre fait grimacer, puisqu’il s’agit là du plus petit nombre de donjons dans un Zelda. En outre, Majora’s Mask présente une difficulté bien supérieure à la plupart de ses confrères. Le simple fait d’entrer dans un donjon est parfois une énigme insurmontable, ce qui a pour mérite de transformer les différentes zones de Termina en donjons à elles seules. L’intérieur des quatre temples ne fait que rehausser le challenge, si ce n’est les quinze fées présentes dans chaque donjon en guise de quête annexe (et véritable enfer à récolter) dont les récompenses sont plus qu’alléchantes. Ne vous êtes jamais vous demandé d’où venait l’épée ultime de Link dans Soul Calibur II, cette fameuse «Great Fairy Sword»? Mais la principale rallonge de Majora’s Mask n’est pas sa difficulté, mais bien sa grande panoplie de quêtes secondaires ! La présence d’un journal de quêtes n’en est que révélatrice (bien que ce dernier ne présente pas une liste exhaustive puisqu’il ne concerne que les quêtes affiliées aux masques).
En effet, il ne serait pas faux de qualifier ce Zelda comme LE Zelda des quêtes annexes, qui forment pour beaucoup son intérêt principal. C’est d’ailleurs avec Zelda : A Link To The Past, le seul opus à présenter quatre épées différentes (cinq en comptant celle d’Oni-Link). Le charme principal de ce jeu est sans conteste l’implication du joueur à travers la courte vie des PNJ s’étalant sur trois jours. Ces derniers, toujours occupés à une heure de la journée ou de la nuit, varient incessamment leurs activités en fonction du moment précis où vous irez leur parler (chaque jour étant différent) en sachant pertinemment que vos actions avec d’autres PNJ pourront bouleverser leur quotidien. Le voyage dans le temps devient alors une obligation pour pouvoir empêcher certains événements d’arriver, ou inversement, pour forcer le destin. Car pendant votre séjour au ranch Romani pour aider la belle Cremia, c’est Anju qui verra son mariage massacré. Cette dimension dramatique et cette variété des dialogues donnent pour la première fois une véritable personnalité aux habitants, vous forçant à vous attacher à chacun d’eux puisque vous devrez leur réserver pour plusieurs d’entre eux, les 3 jours fatidiques. À noter que pour la première fois (et non pas dans The Wind Waker), le joueur pourra contrôler un personnage autre que Link : Kafei.
Finition
Le jeu possède des graphismes identiques à ceux d’ Ocarina of Time, bon nombre de textures et d’autres éléments ont été recyclés. Cependant la ville de Bourg-Clocher et les différentes zones de Termina sont beaucoup moins vides que celles du jeu précédent, dû à son grand nombre de quêtes annexes et à une carte du monde plus petite. Comme expliqué au début de cette review, Majora’s Mask possède sa propre ambiance et atmosphère. Tout cela est parfaitement illustré par sa bande originale (B.O.) qui présente un grand nombre de morceaux révélateurs de ses différents aspects (nous retiendrons Majora’s theme, Ghost’s Attacks et Ikana Castle comme des pistes particulièrement inquiétantes). Il est important de noter qu’à l’époque, le jeu était l’un des rares à nécessiter l’acquisition obligatoire de l’Expansion Pack, un accessoire permettant d’élargir la mémoire de la console. Ce qui prouve encore une fois que ce Zelda n’est pas moins vide que son prédécesseur, si ce n’est l’inverse.
Verdict
- Genre: Action-Aventure
- Éditeur: Nintendo
- Développeur: Nintendo
- Support: Nintendo 64
The Legend of Zelda : Majora’s Mask restera sans nul doute dans les mémoires de nombreux joueurs. Un pari osé, amenant nombreuses facettes originales et bien exploitées, un opus de la saga toujours sujet à nombreux débats, oscillant entre deux places extrêmes du classement du meilleur Zelda. Qu’il soit le meilleur ou le pire, il n’en demeure pas moins une expérience palpitante et pour le moins unique, faisant de lui un passage obligé pour quelconque joueur osant prétexter le titre de fan de la série. Car amputer Majora’s Mask à la collection LoZ, c’est arracher bien plus qu’un bras à cette saga légendaire.
Notre note
4.5/5