Le jeu vidéo est un art, Fumito Ueda est là pour nous le rappeler. Si par «art» nous entendons une expression de la création humaine en un idéal artistique, il ne fait alors aucun doute que chaque jeu constitue une «œuvre» à part entière. Avec ICO, le concepteur japonais nous propose une expérience unique, et nous montre avec talent que le jeu vidéo est un art qui n’a rien à envier aux autres formes de productions artistiques. Hélas, le soft sera entouré d’un épais silence lors de sa sortie, réduisant ainsi le sort d’ICO au seul succès «critique» de la presse spécialisée. Retour donc sur l’histoire d’un chef-d’œuvre incompris qui illustre à la fois l’audace et toute la potentialité créative des jeux vidéo.
Prévu initialement en 1997 sur PS1, le jeu est tout d’abord repoussé car les premiers essais sur la console de Sony ne s’avéraient guère concluants.
Un chef-d’œuvre incompris
Un projet ambitieux
ICO est quelque part le premier «manifeste» d’une riche série de jeux destinés à faire admettre le jeu vidéo comme une forme d’art à part entière. Nous sommes dans les années 90 lorsque Ueda recrute une équipe d’artistes aux horizons très divers afin de proposer aux joueurs une expérience vidéo-ludique inédite, une expérience qui se vit plus qu’elle ne se joue.
Ceci dit, cette expérience ne voit pas le jour immédiatement. Prévu initialement en 1997 sur PS1, le jeu est tout d’abord repoussé car les premiers essais sur la console de Sony ne s’avéraient guère concluants. Il fallait donc au jeune producteur une machine capable de retranscrire l’univers si particulier qu’il avait imaginé pour ce jeu, une machine à la hauteur de ses ambitions…
Un rendez-vous manqué
Tout du moins, auprès du grand public. ICO passe relativement inaperçu lors de sa première présentation en version jouable au salon de l’E3 en 2000. En 2001, le soft voit le jour au Japon et aux Etats-Unis, mais le succès n’est pas au rendez-vous. En 2002, sa sortie européenne ne sera guère mieux. Toutefois, c’est sur le vieux continent que le jeu se vendra le mieux. En bref, ce succès mitigé tient inévitablement au fait qu’ICO n’est résolument pas un jeu comme les autres. Et pour cause : Le titre est surprenant et propose un univers qui défraie incontestablement la chronique. Voyons pourquoi.
Loin des standards du jeu actuel
Un peu d’histoire
Vous incarnez ICO (d’où le nom du jeu), un jeune garçon banni de sa tribu à causes de ses cornes. Celles-ci seraient pour sa tribu un mauvais présage. Le jeu commence alors que le jeune garçon est emmené dans une immense forteresse ou l’attend un sarcophage dans lequel il doit finir ses jours. Mais un tremblement de terre cause la chute du cercueil et finit par libérer le jeune homme. Sur sa route, ICO fera la rencontre de Yorda, une jeune femme qu’il trouvera prisonnière dans une cage suspendue, avant de pouvoir la libérer. Ensemble, ils devront faire preuve de courage mais surtout d’entraide, pour sortir vivants de cette forteresse qui ne leur fera à première vue aucun cadeau.
Une main tendue vers l’autre
C’est peut-être le thème prédominant dans ICO. Les deux protagonistes ne parlent pas la même langue mais doivent compter l’un sur l’autre pour résoudre la grande multitude d’énigmes de l’écrasante forteresse qui les tient en otage. Yorda, malgré sa grande fragilité, possède un mystérieux pouvoir capable de dénouer certains mécanismes. Ico, lui, possède la force nécessaire pour actionner des leviers, monter des échelles, escalader ou sauter des précipices. Mais le jeune garçon devra aussi en découdre avec des ombres sortant des abimes du sol, cherchant à s’emparer de Yorda pour l’emmener dans de mystérieux abimes…
Vers les chemins de la liberté…
Vous l’aurez compris, le but du jeu est de s’échapper de cette prison hostile en combinant mutuellement les compétences de vos deux personnages. A l’instar d’un Zelda, le jeu vous demandera donc de faire preuve de réflexion et d’observation pour espérer résoudre durant une dizaine d’heures les énigmes qui s’offrent à vous. De ce point de vue, Ico s’apparente plus à un Puzzle-game. Aussi, il vous sera également nécessaire de faire preuve d’une grande dextérité lors de certaines phases de plateforme pour le moins… périlleuses.
Seul contre tous
Vous devrez également être capable de vous mouvoir rapidement au sein des diverses pièces du château, car Yorda se trouve bien souvent assaillie par de mystérieuses ombres qui auront tôt fait de vous ravir la belle si vous la laissez seule trop longtemps. Seul contre tous, votre courageux héros devra donc sortir la jeune fille de situations souvent très délicates, sachant qu’il vous faudra pour cela vous dépêtrer de toutes ces ombres avec un simple bâton (et plus tard avec une épée). Les combats sont omniprésents tout au long du jeu. Il sera donc nécessaire de rester sur vos gardes afin de ne pas vous laisser surprendre lorsque jaillira du sol ces «griffes» de l’ombre, qui peuvent à tout moment vous donner du fil à retordre, d’autant plus que la caméra ne suivra pas l’action d’une manière toujours très optimale pour vous aider dans cette tâche.
Fumito Ueda a effectivement beaucoup joué sur les contrastes, comme l’attestent les rares passages extérieurs ou un peu de verdure détonne avec le gris oppressant des bâtiments traversés. Aussi, Ueda a-t-il voulu donner à son produit une dimension «irréelle», en laissant graphiquement un voile flou sur le jeu afin de donner au joueur l’illusion d’évoluer dans un rêve.
Un univers graphique et sonore exceptionnel
Des choix esthétiques irréprochables
A l’image de sa jaquette – tout droit inspirée de l’univers du peintre surréaliste Giorgo de Chirico – Ico vous emmène dans un monde à la fois mélancolique et onirique. Esthétiquement parlant, bien que le soft ai tout de même un peu vieilli, le jeu offre des graphismes qui restent très soignés ( la récente version HD du jeu sur PS3 lui a tout de même redonné un peu de vitalité). Fumito Ueda a effectivement beaucoup joué sur les contrastes, comme l’attestent les rares passages extérieurs ou un peu de verdure détonne avec le gris oppressant des bâtiments traversés. Aussi, Ueda a-t-il voulu donner à son produit une dimension «irréelle», en laissant graphiquement un voile flou sur le jeu afin de donner au joueur l’illusion d’évoluer dans un rêve. Ces orientations artistiques ajoutent incontestablement un petit plus à Ico. Mais la beauté du jeu ne se mesure pas à la qualité de son pixel, mais bien plus à un level-design exceptionnel.
Les lieux visités sont tout simplement immenses. Certaines phases de plateformes donnent même des sensations de vertige assez impressionnantes. Les énigmes sont vraiment bien pensées et font systématiquement appel à votre sens de la logique. Au sein de cet environnement, l’animation n’est pas non plus en reste. Fumeto Ueda a effectivement prouvé son sens du détail en animant l’herbe par une brise de vent lors des passages en extérieur, en faisant danser avec élégance la flamme des torches, en donnant à des éléments du décor une inertie des plus réalistes. L’animation des deux jeunes enfants est elle aussi d’une rare qualité, surtout lorsque vous prenez Yorda par la main quand il s’agit de lui «montrer» la voie.
L’univers sonore
Cette finesse de graphisme et d’animation qui donne au jeu un cachet unique, est d’autant plus renforcée par un univers sonore d’une rare qualité. En effet – et c’est là l’une des grandes particularités de ce jeu- les musiques sont quasiment inexistantes, ce qui a pour effet de renforcer l’immersion auprès du joueur. L’épais silence du jeu nous parle en effet de solitude, quand résonnent les pas d’Ico au travers des longs couloirs du château ; de nature lorsque les oiseaux unissent leurs chants pour ensoleiller votre aventure ; de poésie lorsque le bruit des courants d’air au travers des fenêtres laisse entendre le doux son de la liberté… Cet onirisme, le jeu le transmet avec brio au joueur, qui, manette en main, se laisse inlassablement envouter par cet univers.
Ico est un jeu qui se savoure du début à la fin : Une histoire simple et efficace, un univers graphique et sonore accrocheur, un game-design de grande qualité. La partition semble parfaite. Pourtant le chef d’œuvre de Ueda souffre malgré tout de quelques défauts évoqués lorsque l’on songe à la mauvaise gestion de la caméra ou encore de la durée de vie relativement courte du jeu. Malgré cela, Ico reste un incontournable que l’on refait avec beaucoup de plaisir pour peu que l’on soit sensible à toute la poésie qui peut émaner d’un jeu vidéo.