Dans le monde du jeu vidéo, il arrive parfois que des concepts novateurs, des exploits techniques ou de nouveaux styles de gameplay soient à l’origine de genres totalement inédit. Ce fut le cas, il y a maintenant vingt ans, de Doom, sorti le 10 Décembre 1993 sur PC. Immédiatement acclamé par la critique et les joueurs, le soft devient dès lors le porte étendard d’un genre, celui que nous baptiseront plus tard sous le nom de First Person Shooter (FPS). La révolution fut telle, que des années durant, les jeux se réclamant de cette nouvelle discipline prenaient inlassablement le nom de Doom-like.
Super Mariole
Genre: Doom-like
Editeur: ID Software
Developpeur: ID Software
Support(s): Multi
Une «ID» de génie
Doom et ses 20 millions de « Shareware » reste incontestablement une référence, une source pertinente pour appréhender et comprendre une part de l’évolution de la grande histoire des jeux vidéo. A l’occasion du 20ème anniversaire de ce soft emblématique, retournons ensemble dans ces couloirs ensanglantés, peur au ventre mais tronçonneuse en main, où l’horreur ne prend fin que dans la mort, ou dans l’accomplissement d’une mission périlleuse et angoissante.
La société ID Software est crée le 1 Février 1991 par quatre anciens membres de Softdisk. Il s’agit des programmeurs John Carmack et John Romero, du designer Tom Hall et du graphiste Adrian Carmack. Ceux-ci sont très vite rejoints par Kevin Cloud (lors du développement de Wolfenstein 3D), et Jay Wilbur (pour le business et les relations avec la presse). A cette jeune équipe s’ajouteront enfin deux autres personnes, portant à huit le nombre d’employés d’ID Software lors de la création de Doom. Un petit staff, certes, qui n’en ai pas toutefois pas à son coup d’essai. Les quatre membres de Softdisk ont à ce stade déjà expérimentés les techniques de programmation 3D avec des jeux tels que Hovertank 3D ou Catacomb 3D (1991). Deux softs qui laissaient entrevoir les possibilités du «Ray Casting», une technique permettant de donner une impression de 3D à partir de divers plans en deux dimensions.
En 1992, ID Software marque techniquement parlant une avancée décisive avec Wolfenstein 3D. Inspiré de Castle Wolfenstein (Muse Software ;1981 ; Apple II), beaucoup le désigne encore comme le premier «FPS» de l’histoire au vu de son gameplay, de ses impressionnants effets 3D, de la complexité de son level-design et de la diversité des ses environnements. Accusé de faire l’apologie du nazisme par l’abondance de croix gammées, de portrait d’Adolf Hitler et autres signes qui réfèrent directement aux pages noires de l’histoire du XXème siècle, le jeu ne laisse personne indifférent. Une provocation, assurément pas au goût de tous, mais qui fait également parti du succès de Wolfenstein 3D. Le succès est au rendez-vous, et la polémique autour du derniers bébé de ID software n’empêche pas la jeune et talentueuse équipe d’aller encore plus loin dans la violence, en travaillant sur un jeu qui allait désormais marquer à jamais l’histoire du jeu vidéo: Doom.
Une révolution en marche
Le développement commence en 1992. Alors que l’équipe finalise Spears of Destiny, John Carmack débute la programmation d’un tout nouveau moteur de jeu baptisé ID Tech1 (ou Doom Engine). Lors du développement, les créateurs n’ont pas utilisés le langage C++ pour coder leur jeu. « Nous avons, disent-ils, commencé la programmation de Doom avec le langage C++ Compiler d’Intel pour DOS. Par la suite nous avons utilisé Watcom car à cette époque le C++ n’était pas un langage très stable. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un réel moteur 3D, celui mis au point par John Carmack était suffisamment performant pour donner cette impression de 3D à l’écran. Mais il était également très utile pour créer des choses qui étaient impossible de réaliser dans Wolfenstein 3D. Par exemple, il est désormais possible de créer des d’escaliers, de modifier les éclairages en temps réel, de créer des espaces à l’extérieur, d’animer les textures, de créer des salles de toutes formes ainsi que beaucoup d’autres possibilités offertes par le Doom Engine.
Il n’aura fallu qu’une seule année de développement à la jeune équipe d’ID Software pour créer Doom. Aujourd’hui, cela peut paraître bien peu. Mais il y a vingt ans, peu de jeux pouvaient se targuer d’avoir une gestation interne aussi longue. « Notre équipe ne travaille que sur un seul projet à la fois » déclareront également les membres de l’équipe d’ID Software, permettant ainsi à chacun de s’investir pleinement dans le développement d’un nouveau titre.
Il n’aura fallu qu’une seule année de développement à la jeune équipe d’ID Software pour créer Doom.
Pour John Carmack, la création d’un jeu passe avant tout par les outils de développement mis à disposition: « Nous avons travaillé sur le moteur du jeu en amont de la création de Doom. Le style de jeu de Wolfenstein 3D était clairement une bonne chose et j’avais une idée précise de ce que serai la prochaine étape en matière de programmation 3D. De grandes salles avec des niveaux différents, de sols et de plafonds ainsi qu’un éclairage plus dynamique. Dans l’idée, Doom était le résultat de la rencontre entre Aliens et Evil Dead 2 »
L’ambiance et le style de jeu était donc déjà bien posés. Ce qui n’était absolument pas le cas du planning de développement. Au tout début, Tom Hall essayait d’effectuer une véritable organisation dans la conception du projet. Mais le reste de l’équipe était plutôt du genre à faire comme les choses venaient. Impossible donc pour le staff de suivre un quelconque planning de conception. Toutefois, cela n’empêche pas ID Software d’avancer dans développement de Doom.
Nous avons travaillé sur le moteur du jeu en amont de la création de Doom. Le style de jeu de Wolfenstein 3D était clairement une bonne chose et j’avais une idée précise de ce que serai la prochaine étape en matière de programmation 3D. De grandes salles avec des niveaux différents, de sols et de plafonds ainsi qu’un éclairage plus dynamique. Dans l’idée, Doom était le résultat de la rencontre entre Aliens et Evil Dead 2
Pour John Carmack
1991-Hovertank 3D
Dans Hovertank 3D, vous êtes aux commandes d’un tank. Votre mission est de porter secours à la population locale menacée par une attaque nucléaire. Il vous faut donc sauver un certain nombre de personnes repérées sur votre radar pour mener à bien votre mission et passer au niveau suivant. Sur le chemin, vous rencontrerez des humains mutants, des monstres et d’autres «Hovertanks » envoyés par le gouvernement et de puissants lobbies qui n’ont d’autres buts que de vous barrer la route. Techniquement, le jeu ne s’en sort pas trop mal car bien que les murs soient de couleurs unies, sans aucune texture, l’animation était tout de même fluide et les rares bruitages ajoutaient un petit quelque chose à l’ambiance…
1991- Catacomb 3D
Le soft vous mettait dans la peau d’un jeune sorcier enfermé dans des catacombes. Grâce à vos pouvoirs magiques, tout les coups étaient néanmoins permis pour éradiquer la vermine et sortir de votre prison. Premier jeu de la série à être en 3D, Catacomb fut le premier FPS à montrer à l’écran la main de votre protagoniste pour viser. Fini la grosse croix en plein milieu de l’écran, comme ce fut le cas avec Hovertank 3D. Autres évolutions: les murs arborent enfin des textures grâce à la technique de MIP Mapping et le processeur graphique calcule, en fonction de votre position, le niveau de détails des textures à afficher. Bien que peu variées, celles-ci rendent l’ensemble du jeu et de l’univers bien plus réaliste. Sans compter une musique, certes très répétitive, mais qui vous accompagne sans trop de problème du début à la fin.
Wolfenstein 3D
Soldat allié, capturé par les nazis lors d’une opération visant à récupérer les plans de l’opération Einsenfaust (une opération visant à créer une armée de morts-vivants).
Wolfenstein 3D vous amenait dans de grands châteaux et autres bunkers dans lesquels gardes et chiens faisaient leur possible pour vous réduire en miette. Un soft surprenant donc, vous donnant aussi l’occasion de refaire l’histoire et de mettre au Führer la raclée qu’il méritait, façon Tarantino.
Pour le nom du jeu, l’idée est venue à John Carmack lorsque celui-ci visionnait le film The color of money, avec Paul Newman et Tom Cruise.Et bien sachez que dans celui-ci, Il y a une scène dans laquelle Tom cruise se trouve dans un salon de billard avec une queue personnalisée dans une grande boîte (bon, ok… c’est drôle.). Quelqu’un demande ce que celle-ci contient. Tom Cruise répond alors: «Doom». Cette scène, et la raclée qui suivi, était précisément la façon dont la jeune équipe imaginait la sortie de leur jeu dans l’industrie. Bien entendu, en raison des limitations techniques des processeurs à cette époque, certains effets réalistes, comme l’impact des balles sur les murs ou encore les blessures visibles sur les corps des ennemis, ne purent être insérées.
Fondamentalement, une des choses les plus importantes pour ID Sofware était précisément de savoir quand arrêter le développement d’un jeu. Cherchez des choses à ajouter ou à améliorer peut en effet durer indéfiniment. Bien entendu, d’autres éléments ont été modifiés au fil du temps pour se voir complètement transformés dans la version commerciale. C’est le cas du BFG-9000, l’arme la plus puissante du jeu, qui initialement était une sorte d’arme aux «8 billions de boulettes».
Un ancêtre pour le Free-to-play?
Le mode de distribution de Doom est plutôt original pour un jeu de cette envergure. En effet, ID Software a régulièrement été favorables à l’idée de laisser les joueurs tester leurs jeux dans une version incomplète avant d’acheter le jeu entier. On pourrait presque considérer cela comme l’ancêtre du Free-to-play, concept à la mode avec les consoles actuelles. Effectivement, la première partie du jeu, intitulée «Knee-deep in the dead», disponible en Shareware dès le 10 décembre 1993, était à titre d’exemple entièrement gratuite et accessible à tous. Celle-ci vous donnait l’opportunité de traverser les neuf premiers niveaux pour vous familiariser avec le gameplay. Rien de mieux donc pour se donner une idée précise de la qualité du soft. Pour les deux autres parties, «Inferno» et «The Shores of Hell» (cf voir vidéo ci-dessous pour cette dernière), il fallait passer «à la caisse», pour obtenir les 27 niveaux que comporte le soft.
Une histoire digne d’une série Z
Après ces quelques points touchant la genèse et quelques éléments du développement du soft, pénétrons maintenant plus avant dans l’univers de Doom. Souvenez-vous: un univers riche, sombre et envoutant. Vous voici à nouveau dans la peau de ce jeune marine bodybuildé. Endurci au combat et sur-entrainé à l’action, vous vous retrouviez alors exilé sur la planète mars dans résidence de l’Union Aerospace Corporation (UAC) pour avoir désobéi à un officier donnant l’ordre de tirer sur des civils. L’UAC est un conglomérat mulitplanétaire doté d’installations de déchets radioactifs sur la planète rouge et ses deux lunes : Phobos et Deimos. Ce que vous ne savez pas encore à ce stade de l’histoire, c’est que l’armée utilise ces infrastructures dans un projet top secret de voyage spatial inter-dimentionnel. Celle-ci met en place en effet des «portes» entre Phobos et Deimos, pour faire transiter marchandises, armes et objets divers. La vérité éclate toutefois suite à un incident technique, où ces mêmes portes laisse sortir de « l’enfer » tout un tas de créatures plus abominables les unes que les autres. Réquisitionné pour faire le ménage, vous comprenez vite alors que vos armes à feu seront vos meilleurs alliés pour un petit moment, en attendant réduire à néant cette vermine venue d’ailleurs…
Un peu de Skill!
Au début du jeu, vous ne disposerez que d’un simple pistolet et de vos poings pour bastonner tout ce qui bouge. Fort heureusement pour vous, plus vous avancez dans l’aventure, plus les armes que vous trouvez montent en puissance. Tronçonneuses, fusils à pompe, mitraillettes, lances roquette, fusils à plasma, rien ne manque pour transformer ce cauchemar en une véritable boucherie organisée.
Composé de démons en tout genre (âmes perdues, « barons de l’enfer », « Arachnotrons » ou encore le plus dangereux de tous « Cyber-démon ») le bestiaire donnait implacablement du fil à retordre. Pour plus d’efficacité, il était vite nécessaire de straffer, c’est à dire de se déplacer latéralement tout en tirant afin d’être plus difficile à atteindre par les tirs ennemis. Une multitude d’items venaient également soutenir l’effort de guerre, des trousses à pharmacie, des armures et même des sphères vous rendant invisible ou invincible pendant un court laps de temps et souvent cachés dans des passages secrets ou bien gardés. Il vous faudra donc explorer les moindres recoins de chaque stage pour espérer obtenir la fameuse note de 100%, vous indiquant que tous les secrets ont bien été découverts, et que Predator n’a qu’à bien s’tenir! Bref, un gameplay et un level design efficace, vous demandant régulièrement de faire preuve de sans froid et de doigté, pour faire face aux diverses situations que vous rencontrez tout au long du jeu!
La communauté dont vous êtes le héros
L’autre point fort de Doom, totalement novateur pour l’époque, résidait dans la possibilité de jouer en multi en réseau local. Bien sûr, pour cela il fallait avoir le matos nécessaire, autrement dit un ordinateur, un jeu, et une carte réseau au protocole IPX (500 boules quand même), ce qui n’était donc pas donné à tous. Qui plus est, internet n’était pas encore l’outil que nous connaissons tous aujourd’hui et rare étaient ceux qui y avaient accès.
Alors, que nous réservais le mode multi? Deux modes de jeux tout d’abord: Deathmatch et Coopération. Dans le premier, le but était simplement de tuer le plus d’adversaires possibles dans les différentes cartes que proposait le jeu. Sans mauvais jeu de mot, ce mode était une véritable tuerie ! Aujourd’hui, bien qu’on retrouve le Deathmatch dans la plupart des jeux jouables en lignes, pour l’époque, cela était totalement nouveau. Fini les écrans splittés dans lesquels ont se fatiguait les yeux pour essayer d’y voir quelque chose. Chaque joueur avait désormais son ordinateur avec son propre écran. Un confort de jeu absolument génial dès lors que l’on avait les moyens de réunir tout le matériel nécessaire pour ces orgies vidéoludiques. Le second mode, lui, permettait à 4 joueurs de jouer ensemble et de parvenir ainsi à la fin des niveaux. Bien moins jouissif que le Deathmatch, ce mode à quand même l’avantage de guider les novices dans le tout jeune monde du FPS.
Autre point important dans la construction du mythe de Doom: la présence de fichiers WAD (Where’s all the data) dans le jeu. Un WAD est un fichier contenant les données de base du jeu et permettant ainsi de les modifier. Vous pouvez ainsi créer des niveaux complètement inédits pour prolonger à l’infini la durée de vie, et donc l’expérience « Doom« . En cherchant un peu, il est toujours facile de trouver une multitude de fichiers WAD gratuits, dans lesquels vous attendent des milliers de niveaux faits par des fans. Tout ceci permit à la communauté naissante de Doom de rester très active pendant des années. En 1997 ID Software rends à ce titre accessible à tous le code source de Doom. Dès lors, une multitude de « ports » de DOOM devenaient possible, chacun améliorant le jeu de façon significative en supprimant les limitations techniques du Doom Engine. Correction de bugs, affinages des textures, intégration de modèles 3D mais aussi création de nouvelles fonctionnalités… Au fil des années, les améliorations deviennent de plus en plus nombreuses et sophistiquées, les « ports » de Doom les plus connus étant ZDoom, Boom, Doomsday Engine et Brutal Doom. On ne saurait d’ailleurs trop vous conseiller ce dernier, d’une rare violence et mis à jour il y a peu de temps.
Une étonnante postérité
Le succès de DOOM est tel que celui-ci se verra converti sur toutes les plates-formes disponibles de l’époque. PC, Mac, Playstation, Saturn, Amiga, Super Nintendo, 32X, Jaguar, 3DO, Gameboy advance et même Xbox 360. Cette dernière version est d’ailleurs forte intéressante car, en plus d’être relativement fidèle au Doom initial, celui-ci est une des rares versions à proposer un niveau secret complètement inédit (Sewers), caché dans le premier stage du jeu. retenons également la version Playstation. Excellente conversion, elle différait de la version PC, en ce qu’elle proposait un condensé de Doom I et II, et Ultimate DOOM pour un total de 59 niveaux dont un totalement inédit et cultissime : Club Doom. L’ajout de quelques effets de transparences, vraiment sympas, une bande son bien plus glauque que celle sur PC et un mode deux joueurs mémorable via le câble link adéquat faisait incontestablement de cette version une des meilleures, tout supports confondus.
Et aujourd’hui?
Le phénomène Doom marqua les esprits de toute une génération. Novateur à plus d’un titre, le soft laissa une trace indélébile de son passage dans l’histoire du jeu vidéo. Les nombreuses suites (Ultimate Doom, Doom II, Final Doom, Doom 3...), si elles ne furent pas distribuées en Shareware comme ce fut le cas pour le premier opus, eurent néanmoins un succès considérable dans le monde. L’impact de cette licence conditionna et popularisa irrésistiblement le genre durant plusieurs années. En attendant une hypothétique suite (le développement de Doom 4 a été confirmé par John Carmack le 7 mai 2008, mais depuis plus aucunes nouvelles), espérons que le soft ne subisse pas un destin analogue à une autre licence connue sous le nom de Duke Nukem Forever. Mais cela, est une autre histoire…