En tant que joueurs de jeux vidéo, nous passons le plus clair de notre temps à passer d’un personnage à un autre. Chaque fois que nous changeons de support, nous, êtres humains lambda calés confortablement sur notre canapé, incarnons divers personnages dans des univers infiniment variés. Mais cet aspect-là, nous ne sommes pas les seuls privilégiés à l’avoir expérimenté. A la fin des années 80s, une série TV surfait sur ce phénomène. Son nom : Code Quantum (Quantum Leap en VO).
Return/Ash
Code Quantum était une série de science-fiction originale pour son époque, qui narrait les aventures à travers le temps du docteur Samuel Beckett, incarnant à chacun de ses sauts («leap») un personnage différent. Ne pouvant stopper le phénomène, celui-ci était obligé de résoudre les problèmes de ladite personne à laquelle il s’était substituée avant de pouvoir faire un nouveau saut, espérant que le prochain soit celui qui le ramène à la maison. N’est-ce pas une étrange métaphore qu’il nous est présenté là, à une époque où le jeu vidéo gagnait ses premières onces de popularité? Sommes-nous tous en fin de compte des «leapers»?
Dans la série, ne comprenant pas comment stopper le processus, ni pourquoi il passe de corps en corps (ce qui n’était pas le but original de la «machine») et encore moins pourquoi c’est en améliorant la vie de ses hôtes qu’il voyage, notre héros en a finalement conclu qu’il était investi d’une mission divine visant à réparer les injustices humaines et que c’était Dieu lui-même qui gérait le phénomène. Et nous alors? Nous aussi, sommes-nous les jouets d’une quelconque entité supérieure, se servant de nous pour sauver des gens non pas d’une époque différente, mais d’une dimension différente? Vous imaginez les conséquences de nos actes si c’était le cas? Nous, les mis aux banc de la société, les touchés du doigt par une fausse bienséance, criant à tort et à travers les méfaits et la violence contenu dans les jeux vidéos, nous serions en fait plus seulement des incarnations virtuelles d’avatar, mais bel et bien de véritables héros?
Essayons d’imaginer dans quels jeux ou types de jeux ce genre de situation puisse arriver. Dans la série, le héros arrivait dans un nouveau personnage toujours comme un cheveu sur la soupe et dans une position défavorable ou incongrue. Par exemple, s’il s’incarnait dans un boxeur, il arrivait pile au moment où il recevait un uppercut. S’il s’incarnait en garçon de café, il se faisait bousculer et renverser son plateau, etc… Dans les jeux d’aventures, on peut trouver facilement des équivalents. Combien de fois-sommes-nous tirer de force de notre sommeil? Zelda, Chrono Trigger, Tales Of,… la liste peut-être longue ! Mais ce n’était qu’un exemple parmi d’autre. Dans Secret Of Mana, on se fait éjecter d’un pont par une petite brute. Dans Metal Gear Solid, on se retrouve sans arme au milieu d’une bande terroriste sur une île paumée au nord de l’Alaska. Dans Tales Of Symphonia, on reçoit une brosse de tableau en plein dans le visage. Dans les chevaliers de Baphomet, le café dans lequel on est en train de boire un coup se met à exploser. Et cetera, et cetera…
L’exemple le plus probant est celui de Link’s Awakening. Imaginez, vous sortez à peine de l’inconscience, vous êtes étendu sur une plage sans n’avoir aucune idée du pourquoi ni comment. Vous sentez le sable mouillé qui colle à votre peau et vous avez un horrible goût salé dans la bouche. Vous êtes trempé jusqu’aux os et vous tremblez de froid. Et pour couronner le tout, vous venez de vous rendre compte que vous êtes habillé comme Peter Pan. A ce moment là, la seule chose que vous pouvez dire est : «Oh Bravo!»
Le personnage de «Al Calavicci», incarné à l’écran par l’excellent Dean Stockwell (et doublé par le tout aussi excellent Bernard Soufflet), est également très intéressant tant il synthétise les aides de jeux et autres didacticiels présents dans les oeuvres virtuelles. Comment ne pas faire le rapprochement entre cet ange gardien et «Navi», la fée qui aide Link dans son périple (Ocarina of Time)? Au moment d’incarner le héros, ou du moins, le personnage central (car certains jeux récents ont montré que l’on pouvait aussi contrôler malgré nous le méchant de l’histoire, faisant écho là aussi à un des plus grandioses épisodes de la série Code Quantum, «JFK», dans lequel Sam Beckett incarnait Lee harvey Oswald, l’assassin de Kennedy) le joueur ignore tout de sa personnalité, de l’univers dans lequel il évolue et de ses relations avec les personnages secondaires.
Si c’est le cas également du personnage incarné par Scott Bakula, on apprend au fil des épisodes qu’à mesure qu’il reste coincé dans la peau d’un hôte, il finit par assimiler ses propres connaissances et une exposition trop longue pourraît lui faire oublier qui il est réellement, au profit de qui il incarne. Un jeu aussi singulier que GTA se bâtit sur les mêmes bases: Le joueur incarne un personnage dont il découvre au fil du récit le passé et le présent. Si l’on commencera par connaître les basiques dès le départ(où il vit, quelles sont ses relations sociales, quel but s’est-il fixé à court ou moyen terme…), le fait de passer plusieurs dizaines d’heures en sa compagnie va développer d’une part la symbiose et la connaissance de l’univers et de ses codes, mais aussi l’identification que l’on aura vis-à-vis de cet avatar de polygones. Qui de notre personnalité ou de la sienne, prendra le pas?
L’expérience prouve que les joueurs aiment les extrêmes et auront plutôt tendance à vouloir se laisser guider par l’univers et proposer un personnage qui saura répondre à armes égales, qu’il penche objectivement pour le bien ou le mal.
Si l’on incarne un personnage libre de ses choix (Omicron The Nomad Soul, Fable), va-t-on décider de le façonner à notre image, ou au contraire, dans le cas d’un personnage plus «rock’n roll» (GTA San Andreas, GTAIII, Star Wars-Le Pouvoir de la Force I & II, Legacy of Kain), se laisser aller à quelques régressions ou au contraire en faire un défenseur de la justice irréprochable à tout niveau? L’expérience prouve que les joueurs aiment les extrêmes et auront plutôt tendance à vouloir se laisser guider par l’univers et proposer un personnage qui saura répondre à armes égales, qu’il penche objectivement pour le bien ou le mal. Reste que dans tous ces cas de figure, le rôle titre reste cantonné dans son monde et devra juste atteindre son but (détrôner le boss de la Maffia, venger la mort d’un proche…).
Il existe pourtant des jeux qui proposent une mise en abîme très troublante, tel Another World. Que penser de ce héros, hybride entre un informaticien et un scientifique, qui se retrouve propulsé comme nous le sommes, dans un univers onirique totalement inconnu dont il ignore tout? Son but sera de trouver un moyen de rentrer chez lui, comme dans la série Code Quantum. Et l’aventure ne prendra fin que l’orsque vous aurez réussi à ramener Lester Chaykin dans son époque. C’est alors, et uniquement à cette condition, que le joueur pourra, lui aussi, poser la manette et revenir dans son monde…la réalité.
Trivia: un projet d’épisode abandonné devait voir le professeur Sam Beckett rentrer dans la peau du célèbre détective «Magnum» (Donald P.Bellissario étant le créateur de ces deux séries, au même titre que Supercopter ou NCIS). Cette idée géniale (mais pourtant non retenue pour des raisons techniques) fait directement écho aux nombreux clins d’oeils présents dans la majorité des productions actuelles. Entre les costumes alternatifs permettant de revêtir les habits issus d’un autre jeu du même éditeur (Resident Evil 3 et le costume de Dino Crisis, ou encore Dante de Devil May Cry que l’on peut directement incarner dans Viewtiful Joe 2) et les références appuyées (dernière en date: les chaussures de Faith, héroïne de MirrorEdge, constituent un joli Easter Egg dans BattleField3), le jeu vidéo n’a pas fini de donner ses lettres de noblesse à ce qui est probablement avec le recul la série la plus avant-gardiste et audacieuse des années 90.
Respect M.BELLISSARIO!!!