1992…20 ans déjà…et une époque magistrale qui laisse encore des souvenirs dans les âmes des gamers de l’époque… Une époque où créativité rimait avec prolifique et où chaque machine, console portable, console de salon et ordinateur recevait chaque mois son lot de surprises. Enfin, une époque où la French Touch a éclot aux yeux du monde… Je vous propose un retour en arrière, un Flashback dans les années 90…
Ash, l’amnésique
Another World?
Delphine Software, studio de développement français, régale les possesseurs de micro-ordinateurs avec des titres comme Les Voyageurs du temps, Bio Challenge (Gen d’Or 89 du magazine Generations4) ou encore Croisière pour un cadavre. La French-touch du jeu vidéo se dessine et s’affirme: des jeux cinématographiques, qui misent beaucoup sur l’ambiance et un sens de la narration très éloignée des modèles américains (basés avant tout sur le tape-à-l’œil) et japonais (la finesse du gameplay prime avant tout, et le jeu doit être didactique dans sa façon de «cueillir» le joueur).
En 1991 sort le jeu qui scellera définitivement dans le temps ce talent français: Another World. Façonné à 95% par une seule et même personne, le génial Eric Chahi, jusque dans les moindres détails, dont la jaquette, qui reste probablement la plus belle jamais réalisée à ce jour (et je pèse mes mots). Ce jeu prouve que la volonté d’un seul peut transcender un média et en changer l’approche que l’on en a. A la fois œuvre graphique (une représentation 2D avec des personnage conçus en 3D dans un univers onirique totalement dépaysant pour l’époque), cinématographique (de nombreuses séquences, dont la cultissime introduction, sont tournées comme un véritable film, avec des plans de caméras savamment étudiés) et sensorielle (la musique, sert à mettre en avant l’intensité de l’action lors des joutes et autres fusillades à base de pistolet laser, tandis qu’elle se fera plus lancinante ou au contraire brillera par sa discrétion durant la majorité de votre périple pour appuyer ce sentiment d’être «seul dans un autre monde»). Totalement ancré dans son époque et pourtant intemporel (on le mesure d’autant mieux aujourd’hui avec 20 ans de recul), Another World se voulait un vibrant hommage aux films de science fiction des années 80′ dans lesquels un personnage candide se retrouvait dans une situation inextricable (téléporté dans un monde parallèle sans savoir comment en revenir) et avec donc ce but ultime que l’on espère pouvoir atteindre à la fin du film…heu…du jeu.
Si insister sur Another World pour présenter Flashback peut sembler déplacé, l’analogie n’est pas innocente tant le premier a servi de modèle au second, mais aussi car au-delà de la forme cinématographique reprise avec classe dans cette suite «spirituelle», on note surtout cette volonté de marquer encore plus les esprits des éditeurs étrangers, comme si Paul Cuisset, alors concepteur chez Delphine Software, venait toquer chez les poids lourds du marché et leur dire: «regardez, on fait des jeux calqués sur le cinéma, qui ne se jouent pas du tout comme les vôtres, qui reçoivent des critiques unanimes de la presse spécialisée et des joueurs, et qui en plus commencent à bien se vendre».
The quest for identity
Le meilleur étalon de ce succès, définitivement entériné par Flashback, reste bien entendu le nombre de ventes et d’adaptations. Jeu vidéo français le plus vendu au monde à l’époque, il peut se targuer d’avoir été porté sur de nombreuses plateformes dont la MegaDrive (la plus célèbre de ses adaptations), le MegaCD, la Super Nintendo, la 3DO et pour les plus exotiques, la Jaguar et la Marty FM-TOWNS. Reprenant le type de contrôle d’Another World, lui-même très inspiré de Prince of Persia (encore un jeu réalisé par une seule personne…) il se déroule en 2142 dans un univers futuriste qui n’est pas sans rappeler Blade Runner ou Total Recall. L’inspiration des nouvelles dePhilip K.Dick (Minority Report, entre autres…) saute aux yeux et fait frétiller la génération d’adolescents biberonnés à la culture CyberPunk (RanXerox, B.A.T., Snatchers). Vous prenez le contrôle de Conrad B.Hart, un scientifique amnésique en quête de sa mémoire perdue (tiens, tiens, ça me rappelle un film de Veroheven cité plus haut…) et aurez à déjouer un complot interplanétaire à base d’invasion extra-terrestre.
Passionnant de bout en bout, le jeu de Paul Cuisset suit une progression similaire à celle d’un film, avec une mise en scène et un système de progression aux antipodes des normes vidéo ludiques de l’époque. Ainsi, en terme de jouabilité, les possibilités de Conrad avaient déjà 5 à 10 ans d’avance sur la concurrence et il faudra attendre l’arrivée de jeux d’infiltration (Splinter Cell et Metal Gear Solid) pour pousser le concept encore plus loin. Notre personnage principal peut donc décider d’avancer avec son pistolet au poing, sachant qu’il se fera repérer, ou au contraire avancer avec prudence, mains nues, en toute discrétion. De même, il peut décider de jeter des objets au loin (une pierre par exemple) pour attirer l’attention d’un ennemi. Les réactions des adversaires sont, certes, scriptées, mais en 1992 c’est quasiment une révolution, surtout quand le jeu arrivera sur consoles de salon, car jusqu’à présent ce type de jouabilité avec une «pseudo» intelligence artificielle était surtout l’apanage des ordinateurs. Histoire de trancher encore une fois avec les jeux d’actions dits «classiques», notre amnésique de service dispose d’un inventaire similaire à ce que l’on retrouve dans un jeu d’aventure et sa progression est parsemée d’énigmes à résoudre. L’écran est dépouillé, pas d’informations superflues sur une barre de vie, ni de score ou autre…là encore cela renforce l’immersion du joueur en se rapprochant d’un véritable film.
Retour vers le futur
En terme de réalisation, on touche là aussi au «précieux», à la classe absolue. Non content de reprendre avec bon goût les codes de la culture SF et CyberPunk de la fin des années 80, la production de Delphine Software s’est mise sur son 31 pour briller en société: L’animation est stupéfiante de réalisme, dans la droite lignée du Prince de Perse et de son acolyte perdu dans un «autre monde»; La jouabilité est elle aussi similaire aux deux autres jeux, avec cette petite latence qui paraît au départ gênante et qui finit par être une vraie marque de fabrique; Les décors sont eux aussi à la fois extrêmement beaux et foisonnent de détails, sans compter la variété des univers traversés, qui sert efficacement le récit. Enfin, les différentes scénettes animées qui se lancent lorsque l’on récupère un objet ou que l’on active une borne font mouche en terme de valeur ajoutée.
Qualifier Flashback de nos jours, revient à émettre un avis sur un pilier du jeu vidéo moderne […] La jouabilité, l’animation, les sensations, le déroulement du jeu…tout respire ici la modernité!
Alzheimer n’a qu’à bien se tenir!!!
Flashback rentre dès lors dans la légende et rares sont les joueurs d’une trentaine d’années à n’avoir jamais posé leurs paluches poilues sur ce jeu (je fais une fixette sur les paluches poilues…il faudrait que j’aille me faire analyser quand j’ai le temps…). Les adaptations qui ont suivi jusqu’à 95 ont permis à cette aventure futuriste d’avoir une exposition médiatique marquée dans le temps et de toucher un public extrêmement large et varié. Aujourd’hui encore, évoquer Flashback revient à parler d’une œuvre culte et difficilement attaquable car les défauts, déjà pas évidents à trouver à l’époque, le sont tout autant aujourd’hui, du fait de l’absence de suite spirituelle réelle. En 1995 sortira pourtant Fade To Black sur PlayStation, toujours développé par Delphine Software. Le jeu passe alors en 3 dimensions et garde une trame scénaristique similaire ainsi qu’une ambiance visuelle très proche.
Toujours aux commandes de Conrad, la mission reste sensiblement la même. Cependant, la 3D n’étant pas aussi flamboyante que les ténors du genre sur console, le jeu restera assez confidentiel. L’aventure était pourtant très agréable, mais malheureusement plombée par quelques bugs assez retords (devoir redémarrer le jeu au bout de 10H de progression sauvegardée, car suite à un problème de collision et de paroi invisible, une clé magnétique se retrouve derrière la porte qu’elle est sensée ouvrir…balô!).
A noter également que Delphine voudra relancer le mythe en 2003 avec une version GameBoy Advance intitulée provisoirement Flashback Legends, mais le jeu ne verra jamais le jour, au grand dam des fans de la série.
Regard retrospectif
Qualifier Flashback de nos jours, revient à émettre un avis sur un pilier du jeu vidéo moderne. Si à l’époque la direction prise par le jeu, très «7è art» et aussi très adulte pouvait laisser certains encore hermétiques, l’évolution du marché vidéo-ludique qui a suivi donne inévitablement raison à l’équipe de Delphine. Reprendre le contrôle de Conrad de nos jours avec 20 ans de recul fait juste «rêver», grâce à cette lucidité sur l’avenir que DEVAIT avoir le jeu en tant que média s’il voulait devenir «mainstream» et élargir son audiance. La jouabilité, l’animation, les sensations, le déroulement du jeu…tout respire ici la modernité. Impossible de prendre Flashback à défaut sur un seul de ces items. 20 ans ont passé et le jeu s’est bonifié, il fait désormais partie des fondamentaux du jeu vidéo moderne «worldwide».
Verdict
Je dois reconnaître vouer un culte absolu à Another World (je crois que ça s’est vu…), mais je ne peux que saluer cependant la perfection dont Flashback fait preuve tant au niveau de la narration que de la réalisation. Si l’aspect énigme m’avait à l’époque parfois lassé car reprenant souvent les mêmes ficelles, la fraîcheur du jeu et son intemporalité le placent au-dessus de la meute, tout en haut, là où on est intouchable, assis bien confortablement à observer une descendance, qui, même si elle a livré de très belles réussites, n’a fait que marcher dans les pas déjà tracés et prolongé le chemin, mais sans jamais révolutionner autant un concept, qui trouvait ici, dès 1992, sa clef de voûte, équilibre parfait entre action, plateforme et aventure sur fond de cinéma. Tel Jean-Michel Blotière, les aventures de Conrad n’ont à ce jour toujours pas pris une ride (encore que Jean-Michel triche, il utilise des soins pour la peau, mais ça, c’est une autre histoire…). Du grand, du très grand.