Il y a trois ans, une traduction amateur permettait aux non-japonisants de découvrir un RPG Super Famicom relativement méconnu, du fait d’une non-localisation en dehors de l’Archipel, et d’une diffusion assez confidentielle. Depuis sa traduction, Rudora pique la curiosité des nombreux joueurs, ravis de redécouvrir un RPG signé Squaresoft (le dernier en 1996) sur console 16 bits et dans la veine d’un Final Fantasy. Encensé de toutes parts, parfois taxé de «meilleur RPG de la Super Nintendo», voire de meilleur RPG «toutes consoles confondues», Rudora no Hihou est-il réellement ce trésor orphelin oublié sur Super Famicom?
La fin est proche…
Le monde de Rudora est à seize jours d’une destruction imminente. Tous les 4000 ans, les dieux reprennent leurs droits sur la nature en anéantissant l’espèce dominante et en créant un monde nouveau. Pour mener à bien cette tâche, un « rudora » est envoyé sur terre. Arrivant au terme d’un de ces cycles, le sort des hommes est scellé, et ne dépendra que de vous pour mener à bien le destin de trois personnages, seuls habilités à défaire le «complot divin», et à préserver l’humanité d’une fin certaine.
La première originalité de Rudora est de poser un regard «pluriel» sur son histoire, un peu à la manière d’un Game of Thrônes.
La première originalité de Rudora no hibou est de proposer un regard «pluriel» sur son histoire, un peu à la manière d’une narration de type Game of Thrônes. Celle-ci se retrouvait dans les jeux vidéo au cours des années 1990. C’était ainsi déjà le cas de Seiken Densetsu III (lui aussi signé Squaresoft), qui proposait dès l’introduction un itinéraire croisé de plusieurs personnages en présence, avant le recoupement d’une quête commune. Rudora marche dans ces mêmes pas. Le jeu propose en effet d’incarner un des trois principaux protagonistes autour de trois quêtes qui finissent naturellement par converger (après moult péripéties) vers une plus «générique». Ce principe donne incontestablement au jeu un dynamisme qui restait jadis assez rare. Ajoutons à cela une brillante idée des développeurs: la co-présence, au sein d’une même partie, de différentes sauvegardes pour suivre parallèlement et indépendamment l’évolution des trois scénarios du jeu, avant de débloquer l’épisode final, avec toute la smala!
Une structure narrative intéressante donc. Hélas, les écueils scénaristiques sont relativement nombreux quand ils ne sont pas carrément « téléphonés ». De plus, Rudora No Hihou reste, si l’on est honnête, assez linéaire. L’aventure ne donne en elle-même (et dans l’absolu), que peu de liberté d’action: vous êtes le plus souvent amené à vous déplacer d’un point A à un point B, sans autre forme de détour. Bien entendu, cette linéarité ne prévaut pas tout au long de l’aventure, mais une telle rigidité ne peur être passée sous licence, y compris pour un RPG de cette époque, d’autres titres ayant alors prouvé qu’il était possible de proposer bien mieux en la matière.
Simple mais efficace?
Rudora ne bouleverse donc pas (ou peu) dans l’absolu les codes du RPG, bien au contraire! Le jeu est même d’un classicisme effarant. Tout d’abord (preuve que Squaresoft ne s’est pas beaucoup foulé), l’interface est à peu de chose près un copié/collé de celle utilisée dans Final Fantasy: un fond d’écran bleu et une organisation des menus comparables. Le système de jeu reprend quant à lui le schéma traditionnel quête >village > donjon. Rudora ne surprend donc pas le joueur à ce niveau-là. En vérité, le jeu se contente de maîtriser et de colporter une mécanique déjà bien huilée, plutôt que d’en changer les rouages.
Rudora se contente plus de maîtriser et de colporter une mécanique déjà bien huilée que d’en changer les rouages.
Venons-en au système de combat. Là non plus, pas de grande surprise, si ce n’est qu’on abandonne la fameuse barre «d’active time battle» inaugurée (encore une fois) par Final Fantasy, pour revenir à un simple système de tour à tour régit par un ordre de combat défini. Ce choix dans le système de jeu permet cependant aux joueurs une meilleur anticipation lors des batailles, d’autant que certains boss donnent vraiment du fil à retordre. Le système de magie, lui, est en revanche plus surprenant. C’est d’ailleurs lui qui constitue la grande originalité de Rudora (ou sa grande faiblesse???). Les créations de magie reposent en effet sur des associations syllabiques. Cela signifie qu’aucun sort dans le jeu ne peut s’apprendre sans en trouver la «formule». Dire, est un acte de langage qui consiste à faire «exister», dit-on en Psychologie. C’est donc sur ce principe que repose le système de création de magie de Rudora. Ces associations de syllabes sont disponibles à tout moment dans le jeu via le menu principal et l’onglet «Créer magie». Généralement, bien qu’il soit possible d’improviser une formule parmi une bonne gamme de syllabes déjà disponibles dans le menu alloué, les diverses incantations vous sont délivrées (parfois de manière incomplète) par certains protagonistes ou certains coffres croisés tout au long de l’aventure. Un système rendant jadis de fait le jeu tout simplement inaccessible aux non-japonisants; problème en parti résolu aujourd’hui avec la présence sur le web d’une traduction «officieuse» et relativement solide pour une fois.
Musicalement et graphiquement très réussi
Rudora No Hihou reste néanmoins un jeu très agréable à jouer. Esthétiquement, le soft est même carrément réussi. Bien qu’il reste au premier abord assez simple dans ses textures, c’est une véritable explosion de couleurs qui vous attend, passées les premières heures de jeu. Si l’on compare le jeu à Final Fantasy VI, Rudora s’impose par l’utilisation d’une palette de couleurs plus fouillée. L’animation n’est quant à elle pas en reste. Elle est d’autant plus appréciable qu’elle rend les combats plus vivants et dynamiques encore. Cette qualité d’animation, unique pour la machine, sert aussi un chara-design de qualité. Enfin les musiques, sans être particulièrement mémorables, ont le mérite d’être variées, de bien coller à l’esprit de l’aventure et de donner à l’action un certains «cachet». Certains thèmes valent même carrément le détour. Nous ne pouvons donc qu’être agréablement surpris par le jeu sur ces critères «artistiques».
L’avis de Odallem
Alors que retenir de ce Rudra No Hihou? Un mauvais jeu en panne d’inspiration et saupoudré de quelques bonnes idées? Un Final Fantasy manqué, honteusement dissimulé après sa sortie pour sauvegarder la réputation de Sakaguchi (private joke)? Au-delà de tout point de vue, Rudora est comparable finalement à un vrai chocolat Mon Chéri: un joli produit pas toujours pratique à manger, enrobant au choix (en fonction des goûts) une délicieuse liqueur « cerise », ou une mauvaise surprise…